Nature et fonctions de la poésieSes origines *
transmission de codes, lois et savoirs, de mythes. (rythmes périodiques Ü moyens mnémotechniques)
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sa spécificité formelle Ô rituels liturgiques et magiques, douée d’un pouvoir sur ordre des choses, ex. carmina en latin = à la fois « vers » et « sortilèges ».
Ses conceptions dans la littérature française
Jusqu’au XVIIIème siècle, les mouvements littéraires lui reconnaissent une origine surnaturelle, de par les deux traditions occidentales – le christianisme et, avec une force renouvelée à partir de la renaissance, l’Antiquité.
En exemple ce passage de Ronsard qui fait de la vertu un préalable à l’enthousiasme :
« A Michel de L’Hospital, chancelier de France »,Odes, 1560
[…]
Jamais les dieux qui sont bons
Ne respandent leurs saints dons
Dans une ame vicieuse.
[…]
Cette inspiration divine ne contrevient pas avec la conception ornementale qui prévaut avant le romantisme, le don poétique est au service de l’imitation de la nature préconisée par Aristote :
J. Vauquelin de La Fresnaye, « l’Art Poétique François », 1605.
[…]
Comme le voyageur qui d’un beau lac approche,
En son bord se va mettre au coupeau d’une roche,
Là demeurant long temps oisif en son repos,
Il n’a rien pour object que les vents et les flots :
Toutesfois les forests dedans l’onde vitree
Montrent de cent couleurs leur robe diapree :
Et l’ombre des maisons, des tours et des Chasteaux
Cette eau luy représente au cristal de ses eaux ;
Il s’esjuit de voir que l’onde luy raporte
Par un double plaisir ces forests en la sorte :
Tout ainsi le poëte en ses ravira
Par divers passetemps celuy qui les lira,
Emerveillé de voir tant de choses si belles,
En ses vers repeignant les choses naturelles
[…]
La connaissance de la tradition littéraire et cette fonction ornementale fonde à la renaissance et à l’age classique le principe d l’imitation des écrivains passés.
Mais l’originalité reste bridé par la conscience de la perfection du modèle choisi, d’où querelle entre Anciens et Modernes dès le XVIIème siècle.
Modernes : inviter leurs contemporains à s’adapter à leur époque caractérisée par le règne de la raison, sans pour autant briser avec l’autorité de la tradition.
Anciens : tradition = idéal de la beauté car elle avait réalisée la copie parfaite, éternellement valable, de la nature.
Depuis le XIXème siècle, la poésie est influencée par l’aspiration romantique et la promotion du MOI, naissante dès la fin du XVIIIème siècle (J.J. Rousseau.)
L’émergence de l’individu que promeuvent entre autres les principes révolutionnaires favorisent l’exaltation du sujet : la production poétique vient se fondre avec le Lyrisme. (mot créé début XIXème pour désigner l’expression des sentiments intimes, à partir de l’adjectif « lyrique » qui qualifiait à l’origine les poèmes chantés avec accompagnement musical –souvent une lyre.
Alfred de Musset, « Namouna », 1832
[…]
Sachez-le, - c’est le cœur qui parle et qui soupire
Lorsque la main écrit, - c’est le cœur qui se fond ;
C’est le cœur qui s’étend, se découvre et respire
Comme un gai pèlerin sur le sommet d’un mont.
[…]
Le poète romantique cherche un dépassement spirituel de lui-même.
La croyance en l’inspiration survit au modèle classique de « l’inspiration raisonnable » préconisée par Voltaire dans son « dictionnaire philosophique portatif » 1764,elle incline même à apparier le culte de l’individu et la foi en Dieu :
Lamartine, « L’Enthousiasme », Méditations poétiques
[…]
Mais nous, pur embraser les âmes,
Il faut brûler, il faut ravir
Au ciel jaloux ses triples flammes.
Pour tout peindre, il faut tout sentir.
Foyers brûlants de la lumière,
Nos cœurs, de la nature entière
Doivent concentrer les rayons ;
Et l’on accuse notre vie !
Mais ce flambeau qu’on nous envie
S’allume au feu des passions.
[…]
Avec le romantisme, la poésie se voit dotée d’une fonction herméneutique, c’est à dire qu’elle avance un système d’interprétation du réel qui se fonde sur nécessairement sur la sensibilité et la pensée singulière du poète tout en prétendant à la vérité. Et éloignement de la mimésis qui induisait plutôt l’impersonnalité. (figuration réalité maintenant subjective et sujette à des variations.)
Victor Hugo, « Fonction du poète », Les Rayons et les Ombres, 1840.
[…]
Peuples ! écoutez le poète !
Écoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé !
Des temps futurs perçant les ombres
Lui seul distingue en leurs flancs sombres
Le germe qui n’est pas éclos.
Homme, il est doux comme une femme.
Dieu parle à voix basse à son âme
Comme aux forêts et comme aux flots !
[…]
Attribution d’une souveraineté spirituelle au poète qui se perpétuera au-delà du mouvement romantique, Saint-John Perse affirme dans « poésie » en 1961 que « par son adhésion totale à ce qui est, le poète tient pour nous liaison avec la permanence et l’unité de l’Être. »
L’évolution de la poésie depuis le XIXème siècle tient pour beaucoup au statut et à la nature que reconnaissent à la première personne les différents courants littéraires. Dès le romantisme, l’attribution d’une position centrale au sujet ne se conçoit pas sans une ouverture du particuliers au général, l’individu est en relation avec dieu et la nature, mais aussi avec ses semblables. Au point que le poète incarne la condition humaine à lui seul, par exemple Hugo dans la préface des « Contemplations » (1856). Rimbaud, lui, pousse cette recherche de l’impersonnalité jusqu’à en perdre son identité, comme dans sa lettre à Paul Demeny,1871 ou dans « Une Saison en Enfer »,1873.
Par la suite, les surréalistes donnent comme fonction à la poésie d’explorer un sujet selon le point de vue psychanalytique. Ils refondent le lyrisme en l’identifiant avec la manifestation de l’activité inconsciente du « moi mis au jour » ( ! ). L’inspiration est ainsi intériorisée et laïcisée, mais elle sert toujours autant les « besoins suprêmes d’expression », pour A. Breton dans le « Second Manifeste du surréalisme », 1930.
Forme ultime d’expression pour Breton, celle qui échappe le plus au contrôle de la raison, comme l’écriture automatique ou les récits de rêves (tout en gardant bien à l’esprit les limites d’une telle « spontanéité »).
Fin du dogme de l’imitation, mais que les romantiques avaient déjà entamé, ainsi la conception du beau qui change au point de voir des poètes comme Hugo (Cromwell, 1827 ) ou
Baudelaire (les fleurs du mal, 1861, Cf. p15) accueillir la laideur dans leurs œuvres.
Cet exposé de l’évolution de la poésie est bien sûr minimaliste, mais j’ai choisi de laisser de côté les mouvements plus récents comme les dadaïstes dont certains percevaient la poésie comme une activité de l’esprit essentiellement (Tzara, « essais sur la situation de la poésie », 1931). Pour certains poètes contemporains comme Queneau, elle est d’abord d’un art du langage, dont on ne retient plus la visée spirituelle.